Entretien avec Reinhard Flatischler

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Cet entretien a été réalisé en 1997 par Zorina Wolf, Enseignante TaKeTiNa Avancée et fondatrice de Village Heart Beat, une association américaine dédiée à l’enseignement du rythme et des percussions.

Reinhard Flatischler est un musicien, compositeur autrichien, et le créateur de TaKeTina, méthode d’enseignement du rythme utilisant le corps comme principal instrument. TaKeTina permet également une découverte de soi et une évolution personnelle à travers l’apprentissage rythmique.

VHB : J’aimerais vous poser quelques questions sur vous, votre chemin et sur la manière dont vous avez développé cette méthode. Qu’est-ce que TaKeTiNa ?

R.F. : TaKeTiNa provient de trois sources différentes.
L’une d’elles est mon chemin d’auto-guérison. Pendant ma jeunesse, j’ai été très malade. J’ai souffert d’asthme et de toutes sortes de problèmes. À 14 ans, je me droguais. J’avais atteint un seuil critique quand la pulsation et le rythme sont apparus en moi – juste dans cette phase décisive – et m’ont servi de guide. Sans cette pulsation que j’ai senti incarnée dans mon corps des semaines durant, je n’aurais pas survécu.

Après cet épisode, je suis parti pour l’Inde à l’âge de 15 ans. J’observais et apprenais les rythmes de l’Inde. Je découvrais comment on apprend les percussions en passant d’abord par la parole pour apprendre ensuite à jouer.

Parole et geste instrumental entraient ainsi en relation réciproque et se rattachaient à mon vécu intérieur. J’étais en plein processus d’apprentissage et d’expérimentation sur mon corps. Puis, je suis parti au Brésil, à Cuba et en Corée.
Je possédais par ailleurs une formation classique car j’avais commencé le piano à l’âge de 4 ans. Toutes ces choses se réunirent.

C’est pourquoi je dirais que l’ensemble des rythmes du monde constitue la deuxième source d’influence de TaKeTiNa. J’ai vécu deux ans au Brésil, un an à Bahia, presque un an à Cuba. Ça m’a marqué de découvrir comment les gens là-bas incluent le rythme, transfèrent le rythme – le sens qu’a pour eux le rythme – dans la vie. Si on va plus en profondeur, on comprend que la plupart d’entre eux utilisent le rythme pour leur propre développement, pas seulement pour l’aspect musical.

La troisième source : lorsque je suis rentré en Europe, je savais qu’il existait une connaissance sous-jacente que nous partageons tous, mais je ne savais ni où, ni comment l’atteindre. J’ai monté des groupes pilotes pendant 10 ans. Ça veut dire que je travaillais avec des ménagères, des médecins, des psychotiques, quiconque voulait bien travailler avec moi. C’était dans les années 70 et ça me faisait beaucoup de bonnes expériences.

En 1970, la méthode TaKeTiNa était née. Son évolution révèle ce qu’elle recherche. Elle regroupe les aspects sociaux, musicaux, créatifs, spirituels et psychologiques de notre existence. On n’y apprend pas une simple figure plus ou moins définie, on y apprend tout d’abord à reconnaître les archétypes rythmiques. Ça veut dire qu’au cours du travail, on tombe sur quelque chose qui a été gravé en nous bien avant notre arrivée sur cette planète.

J’ai un enregistrement qui montre comment l’embryon écoute les battements cardiaques avant la naissance. Pendant 9 mois, il entend cet immense « vroum vroum vroum ». Ce son répété sans relâche est à la base de la connaissance rythmique primordiale que nous possédons. Si il s’arrête quand nous venons au monde et qu’il ne reste rien, alors notre connaissance se replie en un endroit secret où elle devient comme une graine, prête à pousser. La bonne nouvelle est que cette graine ne se dégrade pas, elle reste en vie. Quel que soit le moment où nous retournons à cet endroit pour la nourrir, elle pousse. (…) Notre cerveau a peut-être oublié, mais pas notre âme. (…)

TaKeTiNa est un chemin qui se sert du rythme pour élargir le champ de notre conscience. En même temps, on acquiert une compétence et une habileté rythmiques considérables. C’est ainsi que tous les hommes ont appris. On ne travaille pas la Samba au Brésil. si vous dites à quelqu’un: « Apprends-moi le tambourin! », il sera mort de rire, car là-bas, on n’enseigne pas, on joue simplement. (…)

VHB : Je crois que le plus beau cadeau que vous fassiez est de donner de l’espoir aux gens qui ne possèdent pas un bon rythme. Tous les gens qui participent à vos groupes ne sont pas doués pour la musique. Vous les autorisez à perdre le rythme et à ne pas y « arriver », non seulement sur le plan verbal, mais aussi sur les plans corporels et psychiques.

R.F. : Sans perdre le rythme, il n’est pas possible d’évoluer. Point. On ne peut pas apprendre le rythme sans le perdre. On peut apprendre un morceau qui sonnera très raide. Mais pour faire vivre un rythme qui groove, il faut passer par les étapes du « être à côté », « être dedans », « être à côté », « être dedans ». Ça apporte la confiance en soi. En fait, c’est ça qui donne tant de plaisir dans les percussions: la joie, la confiance, sans stress.

VHB : Où se situe la prochaine étape de votre travail?
R.F. : En Europe, TaKeTiNa est presque connue du grand public à présent. Il y a eu plusieurs reportages à la télé. On est justement en train de refaire un film et on en parle dans la presse. TaKeTiNa est connue dans différents domaines: en thérapie, en musique, dans les universités. Elle est également connue en Australie et ici, aux États-Unis.

Cette approche ne vise pas à donner de l’espoir en sous-entendant « Allez, tu y arriver. Ne t’en fais pas. » Ce qu’elle nous dit, c’est « Oui, c’est vrai. Je vais y arriver. Mon être est rythmique. »
Il ne s’agit pas d’une théorie ou d’une belle idée. C’est un fait réel, que je désire jouer des percussions ou pas. Vous voyez, dans notre culture occidentale, la mélodie et la structure harmonique sont tellement passées au premier plan qu’on dirait que le rythme s’est effacé. Raison pour laquelle le rythme n’intéressait qu’une minorité de gens. En Afrique, la vie sociale et communautaire, la santé, l’évolution musicale sont centrées sur le rythme depuis toujours. Et aujourd’hui nous en avons besoin plus que jamais. Un des plus gros problèmes est que nous n’atteignons pas ces couches plus profondes. Nous n’utilisons que 10% de notre potentiel. Nous avons oublié le reste. Il n’est plus là. Mon expérience est que le rythme s’avère un outil très sûr et très puissant pour atteindre, pour ouvrir cette région et pour libérer les potentialités qui s’y trouvent.

VHB : Vous ne parlez pas que de rythmes?

R.F. : Si on apprend tous les rythmes du monde, qu’est-ce qu’on a de plus? Alors? À présent on peut tous les jouer.

VHB : Je vous remercie.

Traduction de Arnould Massart des Ateliers du Rythme.