Tupac Mantilla : un Être en Rythme

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Le percussionniste colombien Tupac Mantilla est un artiste étonnant et bouillonnant qui investit son énergie dans de multiples projets à l’échelle mondiale. Sa formation classique puis son approche des percussions corporelles l’ont menées à collaborer avec une multitude d’artistes, de l’Orchestre Philarmonique de Bogotà à Bobby McFerrin ou Zakir Hussain.
Musicien, performer, enseignant, producteur, il s’est produit au cours de sa carrière internationale au 
Carnegie Hall, à l’Université de Stanford, et dans de nombreux festival de Jazz, a créé le groupe de percussion corporelle Tekeyé, le réseau de percussion international Percuaction et collabore activement au développement de TaKeTiNa depuis quelques années.

J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’un séminaire européen de supervision TaKeTiNa en Allemagne, ainsi qu’au Festival International de Percussions Corporelles à Paris, et j’ai été frappée par son talent, sa gentillesse et son humilité. Je suis ravie de pouvoir vous présenter ici cet interview où il nous parle de son parcours et de ce que le rythme lui a enseigné.

Qu’est-ce qui t’a amené au rythme et aux percussions corporelles ?

C’est en lien avec la notion de « mission » dans la vie, dans le sens où l’on pense, on croit que l’on est ici pour quelque chose, et que même si l’on n’est pas sûr à 100 % de cette raison, on croit qu’il y a un objectif, un but à accomplir.

Dans ce sens, je pense que mon cheminement vers le rythme et les percussions est en lien avec le fait d’être dans un cercle, un pays, une famille qui m’ont donné les outils pour remplir cette mission, qui est connectée dans mon cas personnel avec le rythme, les percussions corporelles, et bien d’autres choses.

Bien sûr je dois mentionner que je viens d’une famille de musiciens, et que j’ai eu le soutien de mes parents depuis le début, non seulement parce que mon père était musicien, ainsi que mon grand-père, et qu’il y a une longue histoire derrière, mais ce soutien était connecté avec le fait d’avoir la musique comme un outil… pour être heureux dans la vie.(…)

Faire partie d’une famille de musiciens, être vraiment connecté à la musique, avoir étudié différents instruments et différents styles de musique très jeune, a progressivement ouvert la voie à ce qu’allait être l’essence de cette mission par la musique… et ça a été le rythme, qui a été et reste, car je considère que ce n’est qu’un début, un voyage fascinant.

Je suis allé du piano à la musique traditionnelle, puis à la batterie et à toute la famille des percussions, j’ai eu une formation en percussions classiques, puis j’ai exploré la percussion avec différentes sortes d’objet… et progressivement le corps a commencé à prendre sa place… de manière assez tardive dans mon processus en fait alors que je pense que le corps est le point de départ… et en raison de cette histoire, et de l’ordre dans lequel se sont enchaînés ces événements, j’ai recommencé avec le corps alors que j‘avais déjà des connaissances sur le plan rythmique… et depuis, ça a été un voyage super intéressant qui a permis de connecter tout cela, de donner du sens, et de vivre le fait d’être le rythme, non seulement moi-même, mais en tant qu’être humain.

Peux-tu nous parler de ton projet PercuAction ?

Je vous parlais tout à l’heure de la notion de mission… ce projet est certainement lié à cette idée, et si j’ai commencé ce projet il y a plusieurs années, c’est en raison d’un besoin personnel d’aller vers les gens dans le but de permettre une évolution à travers le rythme.(…)

C’est un projet qui a démarré il y a plus de 10 ans et qui évolue à l’heure actuelle sur une base internationale dans différents pays. Nous avons développé des contenus très spécifiques, des systèmes de thérapies, des livres éducatifs, des méthodes d’apprentissage rythmique pour les enseignants, et tout cela basé sur l’expérience acquise au cours de ces 20-30 dernières années de ma vie.

J’invite les gens à collaborer, à créer et à développer ces nouveaux contenus qui sont très actuels, comparés aux activités rythmiques qui ont été développées au cours des siècles et qui ont permis aux personnes d’évoluer par le rythme. Ce que nous ajoutons aujourd’hui est vraiment en phase avec notre époque, donc c’est une plateforme qui nous permet d’échanger beaucoup d’expériences basées sur les connaissances actuelles sur le rythme et qui permet aux gens de se connecter et d’évoluer par le rythme.

Dans quelle mesure intégrer le rythme au niveau corporel peut-il être bénéfique ?

En ce qui me concerne, c’est une question de conscience. A mon avis jouer ou être en contact avec son corps sur le plan rythmique est important à ce niveau là. C’est une question de conscience, et c’est, de la manière dont je le vois et dont j’en fais l’expérience, très profond car cela nous connecte à nos sens, aux sens humains, qui nous donnent la possibilité d’une compréhension plus profonde de ce qu’est le rythme à un niveau plus vaste.

Lorsque vous jouez d’un instrument par exemple, votre cerveau déclenche un mouvement à un certain moment pour faire partie d’un contexte musical ou rythmique, mais lorsque vous transférez ça dans le corps, c’est une expérience non seulement plus proche, mais également plus vivace car c’est vous qui produisez ce son sur vous même. Et cela bien sûr déclenche non seulement le sens du toucher en lui-même, mais aussi la sensation créée et déclenchée en activant l’énergie en tapant sur le corps, c’est une expérience plus stimulante sur le plan corporel que de jouer sur une percussion, et c’est bien plus bénéfique que de simplement jouer d’un instrument. Vous apprenez en jouant avec vous-même comment vous ressentez ce toucher, comment il sonne, sa précision.

Le cerveau déclenche une information et le traduit en un point spécifique qui se transforme en un son produit par votre corps physique, ce qui est extrêmement intéressant, mais qui permet également aux gens d’avoir une manière beaucoup plus intégrée de percevoir et d’approcher le rythme.

Dans quelle mesure TaKeTiNa diffère de tes autres expériences rythmiques,
et qu’est-ce qui t’a attiré dans ce travail ?

L’expérience que j’ai eue jusqu’à présent avec TaKeTiNa, et encore une fois, il s’agit là d’un processus, me ferait répondre que la différence entre TaKeTiNa et les autres expériences réside dans la possibilité d’expérimenter un aspect beaucoup plus profond, plus intégré de ce qu’est le rythme.

Ce que j’expérimente avec cette méthode et ce processus est en rapport avec un concept très particulier, qui est le concept d’espace. L’espace considéré dans un sens général, l’espace pour sentir, pour bouger, pour voir, pour entendre… c’est une expérience multi-dimensionnelle extrêmement vivante. Et ce n’est pas quelque chose que vous pouvez expérimenter avec d’autres pratiques rythmiques.

C’est un processus qui se développe, et continue d’évoluer lorsqu’on le pratique, et de là où j’en suis à l’heure actuelle, je peux vous dire que cela donne la possibilité d’une compréhension plus profonde et intégrée d’une plus grande conscience globale, ce que peu de pratiques rythmiques permettent.

Ce que j’ajouterais est la possibilité d’une plus grande conscience liée au jeu intérieur avec l’espace. C’est de mon point de vue une représentation très claire de ce qu’est la vie dans un contexte rythmique, ce qui, pour un percussionniste comme moi est bien sûr super intéressant…

Ce que je veux dire par là, c’est qu’une fois que vous avez traversé ce processus, vous pouvez faire face, et quelque part vous relier et vous connecter avec ce qui arrive dans votre vie sur beaucoup d’autres plans. Et d’une certaine manière, avoir des outils pour gérer ces situations. Vous apprenez à vous connaître d’une manière très « exposée », ce qui est quelque chose que d’autres pratiques rythmiques ne permettent pas.

Et finalement, tout cela mène à quelque chose qui est très important pour moi et qui est l’intégration. L’intégration en terme de ce qu’est la vie, la manière dont vous la percevez, comment vous interagissez et développez vos réseaux et les outils dont vous disposez. Et là encore, cela ne se retrouve pas dans d’autres pratiques rythmiques, où tout est centré sur la performance, l’impro, jouer pendant des heures et peut-être éventuellement atteindre un état de transe où l’on se sent transporté ailleurs… Mais ce qu’offre TaKeTiNa c’est à travers la profondeur et la possibilité d’intégration par la prise de conscience de l’aspect multi-dimensionnel du rythme. C’est vraiment très puissant et je suis extrêmement heureux de faire cet expérience.

Certaines personnes viennent à TaKeTiNa en pensant qu’elles n’ont
aucune compétence rythmique… que leur dirais-tu ?

Tout d’abord je dirais que le rythme n’est pas une compétence… le rythme EST.

Et cela serait probablement la réponse (rires)… je n’aurais pas grand-chose de plus à dire.

Tu sais dans la vie nous avons le besoin, et c’est une capacité que les êtres humains ont développée, de « labelliser » les choses… ce qui est nécessaire pour communiquer, pour donner une valeur ou pour progresser dans la dimension dans laquelle nous vivons et dont nous faisons l’expérience. On parle de « capacité » ou l’on dit « c’est une bonne chose », ou une « mauvaise chose », ou « je peux faire ceci » ou « je ne peux pas faire cela ».

C’est une chose à laquelle les êtres humains sont très attachés d’une certaine manière, mais avec le processus TaKeTiNa, je souhaiterais ouvrir une voie, une porte pour faire comprendre qu’il n’est pas nécessaire de toujours donner des labels aux choses, mais de les laisser être telles qu’elles sont… Et le rythme EST.

Quoique vous pensiez, qui que vous soyez ou quelle que soit votre formation, ou ce que votre cerveau vous dit en matière de ce dont vous êtes capable ou non, je vous proposerais ou je vous inviterais à être, faire l’expérience d’être… ce que cela signifie d’être… dans le moment présent bien sûr. De mettre les mots de côté et essayer d’être avec ce qui est, en espérant que cela permettrait une évolution intéressante, des discussions.

Mais cela signifie de ne pas mettre des mots ou des labels sur l’expérience présente basés sur des expériences passées. Avoir ou pas des capacités rythmiques c’est quelque chose qui n’est pas cohérent de mon point de vue car nous sommes le rythme et c’est ce que je souhaiterais développer, et transmettre, en particulier dans le cadre de TaKeTiNa.

Penses-tu que certaines personnes « ont le sens du rythme » et d’autre pas ?

Encore une fois, puisque le rythme EST, nous sommes le rythme.

Et transférer cela au niveau de « avoir le rythme » ou pas ne s’applique pas. Il y a un aspect intéressant avec la signification du verbe « avoir » car en un sens, il a beaucoup moins d’attraction et d’intérêt que le verbe « être ».

Tout d’abord nous « sommes », et peut-être nous « avons » certaines choses, mais puisque nous « sommes » le rythme, je suppose qu’ »avoir » le rythme ne peut pas s’appliquer.

Qu’as-tu appris au travers de ton travail avec le rythme ?

Tout d’abord le travail avec le rythme n’a pas de fin, c’est un voyage en soi.

Une des premières chose qui me vient et que j’ai apprise c’est que l’on est en permanence dans un processus d’apprentissage… non stop. Une autre chose que j’ai apprise de ce voyage rythmique ou cette expérience de vie a un rapport avec une compréhension plus grande que nous sommes tous UN, que nous sommes connectés à un même rythme, et que nous sommes à un stade égal d’évolution et d’être.

Et c’est une leçon qui, une fois que je l’ai réalisée, m’a ouvert une vision très cohérente de ce qu’est la vie, parce qu’encore une fois nous avons tendance à labelliser les choses, à les hiérarchiser et mettre différents statuts… Et ce ne devrait pas être le cas.

Je suppose que le fait que nous fassions tous partie d’un grand rythme nous permet de vivre, de mon point de vue, avec beaucoup plus de compassion, de donner plus, et de nous débarrasser de l’avidité, de la jalousie, de l’envie. C’est quelque chose que le rythme m’a enseigné et que je garde en connexion avec mon propre développement.

Et finalement, comme je le disais à propos de TaKeTiNa, nous sommes le rythme, c’est un processus continu qui n’a pas de fin, et je pense que nous devrions tous nous sentir et être très heureux d’en faire partie… d’en Être.

Vous pouvez suivre l’actualité et les différents projets de Tupac sur son site : www.tupacmantilla.com
Je ne saurais trop vous recommander son nouveau projet R.I.T.M.O., une formation rythmique intensive dont vous pouvez visualiser le trailer ici : R.I.T.M.O.